Géotrouvetout

 

Ils sont de plus en plus nombreux. Armés de patience, d’un GPS, voire d’une pelle, ils parcourent le pays, des forêts tessinoises aux sentiers vaudois,
pour résoudre de mystérieuses énigmes. Qu’est-ce qui stimule ces aventuriers?

Marie Maurisse

Jan Boesch est un Indiana Jones des temps modernes. Enfin, presque. Régulièrement, ce responsable des ressources humaines troque son costume et sa cravate contre des chaussures de randonnée, un jean souple et un moniteur GPS. A 37 ans, le Biennois est un adepte du «geocaching», une chasse au trésor nouvelle génération. Ce loisir en vogue, né il y a dix ans aux Etats-Unis, pousse les aventuriers à troquer leurs vieilles cartes topographiques contre des outils satellite. But du jeu: dénicher les petites merveilles dissimulées dans tous les endroits du monde. «Au sein de la Confédération, le site swissgeocache.ch recense près de 10 000 caches, indique Jan Boesch. Personnellement, j’en ai trouvé une centaine. C’est un vrai bonheur de partir en balade pour découvrir ce genre de Graal. Je furète dans les arbres, je regarde sous les souches. Une fois, j’ai même sorti ma pelle et j’ai creusé… pour rien, car ce n’était pas le bon endroit.»

S’il avait fait mouche, cet Indiana suisse n’aurait pas déniché le fabuleux trésor de Rackam le Rouge. La plupart du temps, les boîtes secrètes contiennent de petites choses banales au style Amélie Poulain – stylos, jouets, figurines, porte-clefs. Jan Boesch: «Par exemple, je récupère une araignée en plastique et je dépose une petite voiture». Rien de mirobolant, mais le but n’est pas là. En inscrivant leur nom et un commentaire sur le carnet de bord qu’ils ont déterré, les «geocacheurs» remportent une petite victoire symbolique, qu’ils mentionnent également sur le site internet. «C’est une fierté de réussir ce pari, ajoute Jan Boesch. Et cela permet surtout de profiter de la nature, de découvrir des endroits à couper le souffle grâce aux personnes qui y ont caché un objet. Quand j’étais en vacances au Tessin, le jeu m’a emmené vers un point de vue incroyable et totalement insoupçonné. Quant aux enfants, ils en redemandent.»

Si le GPS donne une dimension high-tech à la chasse au trésor, celle-ci n’a pas besoin de cet accessoire tendance pour avoir du succès. Depuis L’Ile au trésor de Robert Louis Stevenson jusqu’au best-seller Da Vinci Code, les mystérieuses missions fascinent petits et grands qui rêvent, eux aussi, de devenir un héros en partant sur les traces d’une énigme mythique. En 1993, le dénommé Max Valentin lançait la plus longue chasse au trésor jamais organisée sur le sol européen, celle de la Chouette d’or. Malgré des milliers de participants, le bijou estimé à 200 000 francs n’a toujours pas été retrouvé. Max Valentin est décédé l’année dernière et sa disparition rend d’autant plus mythiques les onze énigmes qu’il avait élaborées. En Suisse, l’homme a inspiré Antoine Berner, un ingénieur informaticien qui organise depuis deux ans des chasses au trésor d’envergure nationale, la dernière en date ayant pour objectif de retrouver la jolie fée Lule.

«L’engouement pour ce hobby est lié à ce que le sociologue Max Weber appelait le «désenchantement du monde», pense Patrick Schmoll, anthropologue et auteur de l’ouvrage Chasseurs de trésors. Socio-ethnographie d’une communauté virtuelle (Néothèque, 2007). Dans une société plus que jamais rationnelle, les individus cherchent à créer un espace dans lequel ils peuvent rêver et se construire une place. C’est ce que le jeu leur apporte.» Selon le chercheur français, les chasseurs de trésor sont en majorité des hommes qui mettent ainsi en scène les valeurs masculines difficiles à exprimer dans la vie quotidienne: la force, le courage, la persévérance. Une pioche à la main au milieu des arbres, le chasseur vit des sensations fortes.

Jan Boesch: «Parfois, il faut être discret pour ne pas se faire repérer. Il y a une certaine compétition entre les chasseurs». Cette concurrence est plutôt bon enfant, puisque les amateurs d’aventures forment une communauté soudée dont les membres communiquent sur la Toile et, surtout, se réunissent occasionnellement. «J’étais à Barcelone et je cherchais une cache située sur les Ramblas, en pleine zone touristique. Je n’arrivais pas à la trouver et d’un coup, un couple d’Américains est arrivé. Eux aussi étaient là pour ça, nous nous sommes entraidés, c’était sympathique et assez drôle!» D’ailleurs, les «cacheurs» ont même un nom pour ceux qui ne partagent pas leur passion: ils les appellent les «Muggles».

Ludique, excitant, motivant. Les atouts de la chasse au trésor ont, depuis quelques années, dépassé les frontières du loisir pour passer dans le domaine de la communication. Logique. En Suisse, nombre d’offices de tourisme ont organisé cette activité afin de faire visiter un musée (dernier en date, celui de Saas Fee) ou une ville (Bâle, Berne, Estavayer-le-Lac) aux vacanciers de tous âges. Conclusion: les enfants adorent. Les adultes, en devenant acteurs de la visite, retiennent facilement l’histoire du lieu.

Les estivants sont donc concernés par les trésors, mais aussi les consommateurs. Les entreprises sont devenues fans du «geocaching» et on ne compte plus les marques qui usent de ce stratagème pour attirer l’attention. M & M’s, Puma, Jimmy Choo ou Red Bull viennent toutes de lancer un défi à réaliser sur la toile ou dans la vraie vie… Malin.

Pour les entreprises, «le jeu sert également à fédérer des collègues dans le cadre d’un team-building, ou à familiariser les employés avec le quartier où ils travaillent, après un déménagement», affirme Benoît Leoty, directeur commercial de Ma Langue au Chat. Cette société parisienne fondée en 2004 a déjà organisé plus de 500 chasses au trésor pour diverses sociétés en France et en Belgique. Depuis peu, la Suisse fait aussi partie des clients potentiels. «Trouver un secret est un fantasme universel, car nous sommes tous de grands enfants, dit-il. C’est indémodable.»